Je suis allé voir l’endroit où Joseph Guibord a été inhumé au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. C’est avec une certaine émotion que j’ai dessiné cet étrange monument : une pierre de forme ovale d’environ deux mètres de long par un mètre en son centre et pesant plusieurs tonnes. Une plaque a été enchâssée sur la pierre par le Mouvement laïque québécois en honneur à tous les membres de l’Institut canadien (1844-1884) dont faisait partie Joseph Guibord.
L’enterrement de Joseph Guibord en 1869 a été plutôt houleux. En effet, ce dernier était l’imprimeur de L’Institut canadien dont les membres avaient été excommuniés par Mgr. Ignace Bourget en raison de leurs idées libérales et même athées. L’Institut (1844) avait une bibliothèque publique gratuite qui était aussi un lieu de discussions, de débats et de conférences. Dans la bibliothèque, on pouvait même lire des livres « à l’index » de Voltaire et Diderot, entre autres. Victor Hugo était un des membres, externe évidemment.
« L'Institut canadien défendait les principes démocratiques et républicains: souveraineté du peuple, suffrage universel, séparation de l'Église et de l'État, instruction publique laïque, abolition de la classe seigneuriale, réformes constitutionnelles et judiciaires ». Or ce Monsieur Guibord, bon catholique, eut non seulement le malheur de mourir mais de décéder « hors de l’Église ». Lorsqu’on arriva à l’entrée du cimetière Notre-Dame- des-Neiges pour l’enterrer, une foule nombreuse de fervents catholiques empêcha qu’on le dépose dans le lot qu’il possédait. Il fut donc enterré dans le cimetière protestant, à côté.
Mais la chose n’en resta pas là. Procès, récriminations. Finalement, en 1874, donc cinq ans après le décès de notre homme, le Conseil privé de Londres ordonna qu’il soit enterré dans le cimetière catholique Notre-Dame-des-Neiges. Second échec, les catholiques font échouer la tentative d’enterrement. En 1875, on fit appel à l’armée qui forma deux rangs entre lesquels fut amené le corps dans le cimetière. Joseph Guibord fut inhumé sur un terrain que Mgr. Bourget avait « maudit » même si son épouse catholique y reposait déjà… Le tout se passa sans incident.
Afin que personne n’aille s’attaquer à la dépouille, on déposa sur la tombe une immense pierre impossible à déplacer. Le temps et les saisons ayant fait leur œuvre, cette pierre est aujourd’hui fendue en deux. Dans Montréal, une avenue porte aujourd’hui le nom de Joseph Guibord. Le lot où il repose se trouve au numéro de concession 00873 dans la section « N ».
Il paraît que le roi David a écrit : « Rien de nouveau sous le soleil ». Le problème de la laïcité fait encore surface dans la belle province…